
Par Christophe De Watrigant, Avocat à la Cour
Les mandats de gestion programmée
Publié dans « Actes Pratiques » en mars/avril 2011
Le mandat de gestion programmée : voilà le nouvel outil de prévention des manquements d’initiés ! Les dirigeants de sociétés cotées, opérant sur les titres de leur société, sont tous exposés au risque de se voir reprocher un jour ou I’autre un manquement d’initié. Les règles en matière de manquement d’initié imposent l’obligation à toute personne détenant une information privilégiée de s’abstenir d’utiliser cette information pour réaliser des transactions sur les titres concernés par l’information. Ces personnes doivent également s’abstenir de communiquer cette information en dehors du cadre normal de leurs fonctions ou de recommander 4 une autre personne d’intervenir sur les titres concernés, L’obligation d’abstention vise en particulier les personnes qui détiennent une information privilégiée en raison de leur qualité de membres des organes d’administration, de direction, de gestion ou de surveillance de la société. Parmi ces personnes, les dirigeants mandataires sociaux sont souvent perdus comme des initiés quasi-permanents. Ils doivent en conséquence composer avec les multiples périodes d’abstention et s’assurer, avant toute transaction, de ne pas être en situation d’initié, en cela, les dirigeants des sociétés cotés doivent se montrer exemplaires.
1. Mesures de prévention des délits d’initiés.
Les associations professionnelles, notamment l‘Association française des entreprises privées et l‘Association nationale des sociétés par actions ont suggéré, à destination des dirigeants, plusieurs mesures de prévention possibles, au travers de quelques publications récentes. II s‘agit, plus précisément, du document de « Préventions des délits d’initiés » publié par VAFEP en janvier 2008, et du « Guide a l’intention des sociétés cotées pour l’établissement des listes d’initié et l’information des personnes concernées », publié par I’ANSA pour la première fois en mai 2006. Connaissance prise de ces recommandations, plusieurs sociétés cotées ont fait le choix d’instaurer un règlement intérieur, un code éthique ou un code de déontologie fixant des règles susceptibles de s’appliquer aussi bien aux dirigeants qu’aux salariés. Parmi les mesures de prévention fréquemment retenues, plusieurs sociétés ont aussi défini des périodes de « fenêtres négatives » pendant lesquelles toute transaction est interdite.
La jurisprudence de la Cour de justice de I’Union européenne, en particulier l’arrêt « Spector » de décembre 2009, a elle aussi évolué en ce qui concerne l’obligation d’abstention. Aux termes de cet arrêt, la Cour de justice confirme le caractère, par principe, objectif du manquement d’initié : il repose sur une présomption d’utilisation d’une information privilégiée par les dirigeants. Néanmoins, la Cour de justice précise que cette présomption n’est que simple: le dirigeant peut donc la renverser, et rapporter la preuve qu’il n’a pas utilisée d’information privilégiée, l’utilisation indue de l’information devant être établie à partir d’un examen approfondi des faits.
La mise en place d’un mandat de gestion programmée permettrait de démontrer que des transactions effectuées pour le compte d’un dirigeant n’ont pas été déterminées par la connaissance d’une information privilégiée, mais décidée sur la foi d’instructions communiquées antérieurement, a une époque où de dirigeant ne pouvait certainement pas être en situation d’initié. La conclusion d’un tel mandat avec un tiers, en respectant des contraintes strictes préfixées, et sous réserve de l’appréciation des tribunaux, pourrait permettre aux dirigeants de bénéficier d’une présomption simple de non-commission d’opérations d’initiés, cadrant ainsi avec les principes dégagés par la jurisprudence Spector. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les mandats de cession (trading plans) existent déjà et sont inscrits dans la réglementation boursière.
2. Conditions de validité du mandat de gestion programmée.
Pour lui conférer toute la sécurité juridique souhaitée, ce mandat doit cependant être encadré de manière stricte : en effet, si les interventions sont laissées en théorie à la seule discrétion de la personne qui assure l’exécution du mandat, le risque d’une immixtion du dirigeant dans la gestion existe.
L’AMF a pris tout dernièrement position sur ce type de mandat, et a reconnu sa valeur juridique (présomption simple) sous certaines conditions (Recommandation n® 2010-07 du 3 novembre 2010) : la mission de l’AMF a retenu le principe d’un mandat encadré a priori de manière stricte. Mais l’AMF va même plus loin, puisqu’elle soutient la proposition visant à reconnaitre le principe du mandat encadrée (ou mandat de gestion programmée) au niveau communautaire. Cette reconnaissance passerait par un amendement de la Directive Abus de marché et n’apparaît pas contraire 4 ses objectifs, puisque la directive exclut d’ores et déjà certaines opérations du champ des opérations d’initiés, et prévoit des régimes dérogatoires pour la manipulation de cours (rachat d’actions, stabilisation d’instruments financiers, pratiques de marché) par exemple.
Le mandat de gestion programmée, tel que l’envisage l’AMF, s’adresse en premier lieu aux sociétés cotées sur Euronext et Alternext, ainsi qu’a toutes les personnes visées à I’article L. 621-18-2 a) et b) du Code monétaire et financier, c’est-a-dire :
- les membres du conseil/ d‘administration, du directoire, du conseil de surveillance, le directeur général, le directeur général unique, le directeur général délégué ou le gérant ;
- toute autre personne qui a, d’une part, au sein de la société, le pouvoir de prendre des décisions de gestion concernant son évolution et sa stratégie, et a, d’autre part, un accès régulier 4 des informations privilégiées concernant directement ou indirectement cette société (les personnes dites « assimilées 4 des dirigeants »).
D’ores et déjà, AMF a constaté la misé en place par quelques sociétés françaises de mandats de ce type aux termes desquels des dirigeants confient 4 un mandataire, extérieur, la cession de leurs actions. Dans certains cas, les mandats peuvent également inclure la levée d’options de souscription suivie de la cession des actions sous-jacentes. Pour bénéficier de la présomption simple de non commission d’opérations d’initiés, le mandat devra, pour. L‘AMF, respecter certaines conditions :
- D’abord et avant tout, le mandant ne doit pas être en mesure de pouvoir influencer d’une quelconque manière les décisions d’intervention de la personne exécutant le mandat ;
- Le mandat devra être mis en place dans une période où le dirigeant n’est pas détenteur d’informations privilégiées ;
- Sans en décrire les caractéristiques, une publicité du mandat au moment de sa mise en place permettra aux tiers d’en connaitre au moins l’existence ;
- Les interventions du mandataire devront être encadrées par une instruction précise et irrévocable, dont l’exécution ne débutera qu’après une période de latence.
Le mandat idéal est celui qui permet 4 l’intermédiaire, à tout moment, de démontrer que ses interventions sont décidées sur la foi d’éléments objectifs.
Concernant la nature du mandat, le service rendu par le mandataire est un service d’investissement. Concernant son identification, l’AMF considère que ce mandat est un mandat de gestion, et recommande de le désigner sous les termes de « mandat de gestion programmée ».
Le mandat de gestion programmée est mis en place à l’initiative du dirigeant, ou de la société éventuellement. Lorsque le mandat est voulu par la société, celle-ci peut le rendre obligatoire non seulement pour ses dirigeants, mais aussi pour un cercle plus large comprenant notamment les personnes « assimilées aux dirigeants ».
Il est recommandé que le mandataire choisi ne soit pas celui ayant pour habitude de gérer le patrimoine personnel et familial du dirigeant.
Les mandats conclus entre l’établissement financier (ou Ja société de gestion) et les dirigeants concernés devront, pour bénéficier de la présomption reconnue par I’AMF, être construits de la manière suivante :
- L’objet du mandat doit être défini de manière précise, notamment le type d’opérations sur titres concernées : l’exercice d’options de souscription ou d’achat d’actions, la cession d’actions, la souscription ou l’achat d’actions.
- Le contrat de mandat devra être conclu pour une durée déterminée par les parties. il devra être cependant spécifié dans le mandat que les opérations seront réalisées conformé ment à une instruction donnée par le dirigeant pour une durée minimum de douze mois. Une exception tout de même pourra être prévue : lorsque l’instruction laisse une très faible marge de manœuvre au mandataire (formule ou algorithme), la durée du mandat pourra être inférieure à douze mois, sans pour autant être inférieure à trois mois.
- L’exécution de l’instruction devra débuter trois mois au moins après sa communication au mandataire. Trois mois avant la fin de ‘instruction, lorsque celle-ci sera d’une durée de validité effective de douze mois, le dirigeant pourra envoyer une nouvelle instruction au mandataire.
- Le dirigeant notifiera par écrit au mandataire le jour de la communication de l’instruction qu’il n’est pas détenteur d’une information privilégiée susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des actions de la société.
- Le mandat comprendra aussi une déclaration d’indépendance du mandataire, l’absence de tout lien familial, ainsi que l’absence de tous liens d’affaires antérieurs a la conclusion du mandat.
- Le dirigeant s’interdira d’effectuer des opérations de cessions sur les titres autrement que dans le cadre du mandat lorsque que le mandataire sera amené a intervenir exclusivement à la vente, et d’effectuer des opérations d’achat sur les titres autrement que dans le cadre du mandat lorsque que le mandataire sera amené à intervenir exclusivement à l’achat.
- Le dirigeant devra veiller au respect d’un devoir de non-immixtion dans |’exécution du mandat et s’interdira tout contact avec le mandataire.
Enfin, reste la question de l’instruction : celle-ci, donnée par le dirigeant, doit être précisément fixée. Le dirigeant a le choix entre plusieurs options : soit il privilégie une formule, ou un algorithme, qui détermine le nombre, le prix et les dates auxquels le mandataire effectue les achats ou les cessions (ou une formule permettant de définir des achats ou des cessions pré programmé), soit il préfère une solution fixant, par période de trois mois, le nombre et la répartition des opérations 4 réaliser sur la durée de l’instruction, accompagnés d’un ou plusieurs prix de réserve. L’instruction donnée par le dirigeant devra être considérée comme irrévocable, sauf cas de force majeure ou dans les cas particuliers suivants : un événement personnel (décès, ou maladie du mandant…), ou la démission ou la révocation du mandant, ou une faute grave du mandataire, ou un événement de marché (offre publique sur les titres de la société, ou retrait des titres de la cote…), au bien encore le départ du dirigeant ou de l’équipe dirigeante. Cette liste d’événements est fournie par l‘AMF, aux termes de sa recommandation n° 2010-07 du 3 novembre 2010 : Pour autant, il n’est pas dit si cette liste est exhaustive, ou si elle n’insert que quelques exemples, ou si elle est au contraire limitative…
Dans tous les cas, le mandataire doit être capable de justifier de ses diligences, et donc du respect des instructions du mandant : il doit donc s’assurer de la traçabilité de ses interventions. Si ces exigences strictes sont convenablement respectées, l’exécution du mandat pourra se poursuivre y compris pendant les fenêtres négatives définies par la société. L’AMF relève cependant que, pour des raisons essentiellement d’image, quelques sociétés, ayant déjà recours à cette technique du mandat de gestion programmée, préférant suspendre l’exécution du mandat pendant les périodes d’abstention qu’elles ont définies.
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